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La collision des idées

« Mais d'où viennet toutes vos idées ? » Cette question et ces variantes est l'une de celle qui revient le plus souvent lors des rencontres avec mes lecteurs. Et c'est une bonne question.
La collision des idées

Début des années 2000. Je suis un fan de la série TV Stargate SG-1. Durant la troisième saison, SG-1 doit affronter des robots arachnides construits de petites briques programmées pour se répliquer seules et évoluer à chaque itération. Ils consomment l’énergie et les matières premières qu’ils attaquent pour se développer, « dévorant » tout ce qui les entoure. Évidemment, leurs créateurs en perdent le contrôle et ces machines engloutissent des civilisations entières. Ce concept de robots qui s’améliorent pour leur survie après chaque génération, un peu comme l’évolution Darwinienne, m’intéresse beaucoup ; je la note dans un carnet.
2003 : Un article attire mon attention : Emerging Consciousness as a Result of Complex-Dynamical Interaction Process. L’idée qu’une forme de conscience pourrait émerger d’interactions complexes entre de petites unités est séduisante ; je la note dans un carnet.

Six ans plus tard, je suis en plein développement de mon premier roman. Parmi les concepts au cœur de l’intrigue, un système de programmes autoréplicants qui évoluent en ne gardant que les générations qui « progressent » après l’introduction de variations aléatoires dans leur code.
Ce concept est le résultat direct de la collision de deux idées notées des années plus tôt dans un carnet.

La plus petite idée peut être utile

Ce mix et remix, mélange d’idées à priori différentes et qui donne naissance à une nouvelle idée originale, je l’appelle la « collision » des idées. On en a d’ailleurs discuté, avec ma camarade de podcast Catherine Rolland, dans l’épisode 2 de Duo de plumes.
Depuis des années je collectionne les saynètes, idées, et bribes de conversations ; j’ai tendance à noter tout ce qui m’interpelle, me surprend, me plait ou déplait, car je ne sais jamais ce qui sera utile.

Conséquence immédiate: j’ai toujours sur moi un carnet A6 dans lequel je recueille ces idées et extraits de vie au milieu des listes de courses et des approximations de coins de tables. Je varie les marques et les modèles (ces derniers temps, ma préférence est pour les Leuchtturm1917, en trame à points), mais sous une forme ou une autre, j’en glisse toujours un dans ma poche, avec un bon stylo.
Quand ces carnets sont remplis, j’en commence un nouveau, et ainsi de suite. Il m’arrive d’en utiliser deux par année, d’autres pourront me durer des dizaines de mois en fonction de ce qui attise ma curiosité ; au fil des ans, ils s’accumulent dans mon bureau.

L’accélérateur de particules

L’astuce, c’est de relire de temps en temps ces pages à la recherche de ces notes. Pour m’alléger l’esprit, j’ai programmé une tâche récurrente dans mon calendrier tous les trois mois.
C’est simple de les retrouver ces passages en feuilletant les carnets puisque je laisse un petit symbole ressemblant vaguement à une ampoule dans la marge. Et c’est aussi assez fun, car relire ce qui entoure ces idées dans le temps, c’est comme un témoignage de ce qui me préoccupait au moment de la captation, ce qui peut remettre du contexte et raviver des souvenirs.

À titre d'illustration, l'un de mes carnets dans lequel se cache une idée qui mènera peut-être à quelque chose dans l'une de mes histoires…

Le reste se passe dans la tête. Au bout d’un temps, certaines de ces idées peuvent entrer en collision, et il se produit ce qui pourrait arriver à l’intérieur d’un accélérateur de particules : lorsqu’un électron percute à haute vitesse un proton, une nouvelle particule est créée.
Ces idées qui se rentrent dedans, se bousculent et s’entremêlent en forment de nouvelles, des chimères qui sont plus intéressantes encore.

Si le résultat titille mes neurones, je note le produit de ces collisions comme une nouvelle idée ou un nouveau concept. Pour la plupart, cela en reste là, parfois durant des années. Elles peuvent aussi être combinées à nouveau, et ainsi de suite. Mais d’autres finissent par donner naissance à un roman ou à y occuper une place prépondérante.

Pour moi, cela fonctionne bien. Le secret est de noter tout ce qui attire mon attention, quel que soit le domaine (de fait: plus les sources sont variées, mieux c’est), de relire ces carnets régulièrement et de laisser mon subconscient mélanger et faire des connexions, malaxer cette matière comme on le ferait pour préparer une pâte à pain.

Ce concept de collision des idées rejoint la thèse derrière le documentaire Everything is a remix de Kirby Ferguson, et c’est aussi ce que vous avez sûrement lu quelque part : tout a déjà été raconté, écrit, mais pas par vous. Il en résulte que les nouvelles idées sont forcément issues du mélange (remix) d’idées plus anciennes.

J’utilise cette « méthode » depuis des années et c’est de là que sont sorties les idées les plus intéressantes pour mes romans.
Et si c’est une « méthode », elle est simple. Pour ne rien rater, noter toutes les idées, même celles qui ne semblent pas pertinentes sur le moment (le tri se fait par après, comme s’il opérait en tâche de fond dans mon cerveau), et les relire régulièrement.

C’est réjouissant, et cela explique pourquoi je ne suis jamais à court d’idées ; ce qui crée les nouvelles idées pour mes romans vient… d’idées plus anciennes remixées. Une sorte de mouvement perpétuel qui nourrit mes histoires et mes romans.