L’ébauche découverte
À l’occasion des enregistrements de notre podcast, nous discutons souvent cuisine interne avec ma complice Catherine Rolland. Comparer les façons de travailler et les habitudes d’écriture est toujours intéressant. Catherine, par exemple, produit des premiers jets de très bonne qualité, qui ne nécessitent que peu de corrections par la suite.
Et j’en suis incapable.
Pourtant, dans nos livres, nous proposons tous les deux à nos lecteurs l’éclat d’un texte peaufiné, travaillé et corrigé pour atteindre la meilleure qualité possible.
Comme beaucoup d’autres écrivains, Catherine corrige au fur et à mesure de son écriture, dès la première version. Pour ma part, je suis un partisan de ce que je nomme l’Ébauche Découverte. Quand j’écris mon premier jet, je déverse toutes mes idées sur la page sans me préoccuper de la qualité ou de corriger les fautes.
Je sépare le moment de l’écriture du moment de la correction.
Si vous corrigez et écrivez en même temps, vous étouffez votre créativité.
Avant tout, j’ai besoin de me raconter l’histoire à moi-même, de la sortir le plus vite possible en suivant ma structure (et en la faisant évoluer). Ce premier jet ne sera de toute façon lu par personne d’autre que moi. Il est criblé d’annotations, de commentaires, de points de recherche. En fait, j’ai veux conserver l’élan pour arriver au bout de mon roman.
Si je commence à corriger les fautes de frappe, d’orthographe et de grammaire, l’ordre des mots, je perds cet élan et la concentration qui allait avec ; je sors du flow. Et c’est encore pire si je dois faire une recherche au moment du premier jet. En me demandant si les huissiers de l’Élysée portent une cravate ou un nœud papillon, je me retrouve en trois clics à traîner sur un blog anglais ou plus chronophage, sur YouTube. Trois heures plus tard, je n’ai rien avancé (et il n’est pas garanti qui j’ai la réponse à ma question).
Je sais qu’il y a matière à discussion : pour certains auteurs, il est inconcevable de laisser passer ne serait-ce qu’une faute de frappe — elle est là, je la vois, deux ou trois mots en arrière, alors pourquoi ne pas la corriger tout de suite ? Ils prennent le temps de cette correction, et ce qui est certain, c’est qu’ils produisent un premier jet bien plus « propre » que les miens.
Mais cela ne correspond pas à ma façon de travailler, en fait, j’en suis incapable. Il est possible que j’aie un sérieux déficit de l’attention, mais je crois que cela peut arriver à tous, bien plus facilement qu’on ne le pense. C’est pourquoi je ne m’attache plus à la forme lors de ce premier jet, qui devient pour moi l’ébauche découverte. Rien ne doit interrompre cette lancée et j’ai une tactique pratique, si je tombe sur une question au cours de l’écriture. Comment s’appelait ce personnage secondaire, déjà ? Comment s’écrit « myriade » ? Il faut que je détaille plus la description, ici. Quand cela arrive (souvent), j’utilise une combinaison de lettres rarissimes dans la langue usuelle : TK ; il me suffit ensuite de faire une recherche dans mon texte pour trouver les endroits à corriger ou à compléter après quelques tours sur les internets.
Corriger fait appel à la partie analytique du cerveau. Écrire utilise la partie créative.
Faire les deux en même temps, c’est comme conduire un bolide avec les pieds à la fois sur l’accélérateur et la pédale de frein.
Je fais donc tout pour ne pas interrompre mon écriture (on reviendra sur les bases, comme le portable dans une autre pièce, couper l’accès wifi ou même passer à une machine à écrire dédiée… dans un prochain article).
Pour citer un maître :
Write first, edit later. — Stephen King
Peut-être que ce n’est pas pour tout le monde. Pour ma façon de travailler, l’ébauche découverte est ce qui me correspond le mieux.
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