Robots
Dans mon enfance, l’un de mes jouets les plus marquants était un Goldorak de près de 80 cm de haut. Il était trop cool, pouvait lancer de missiles et avait des fulguropoings clignotants. Merchandizing dérivé du manga éponyme, ce robot géant que j’adorais était piloté par un homme, Actarus.
Début 2021, Boston Dynamics a publié sur sa chaîne YouTube une vidéo démontrant l’état de l’art de leur production. On peut y voir trois robots dansant sur une chanson du groupe The Contours, n° 3 du Billboard 100 de l’année 1962.
À priori, rien d’effrayant, pourtant, ce que j’avais devant les yeux m’a autant fasciné que fait peur. Pour le coup, c’était nouveau : je n’avais jamais ressenti la moindre appréhension par rapport aux robots.
Ma génération y est aussi accoutumée que possible.
En dehors de mon jouet, mes premiers contacts se firent au travers de romans de science-fiction, en lisant Asimov. Pour d’autres, ce fut peut-être par le biais du cinéma.
On peut penser à R2D2 et C3PO de la saga Starwars, ou encore Ash dans Alien, un robot humanoïde dont il est impossible de deviner la nature, tant son comportement et son apparence sont similaires aux nôtres.
Rapidement, ils sont devenus si courants dans notre culture que nous les prenons pour acquis.
Aujourd’hui, les robots partagent notre quotidien, et nous n’en avons pas peur. À la rigueur, la crainte qu’ils inspirent est celle de perdre une (grande) partie de nos jobs. Ils représentent le progrès, améliorent notre quotidien, augmentent nos capacités industrielles. À l’instar des fictions que nous lisons ou regardons, ils sont devenus courants dans nos vies.
Alors, pourquoi ai-je éprouvé un tel sentiment en voyant danser les robots de Boston Dynamics ?
La chorégraphie exécutée à la perfection par ces robots massifs dégage une impression de puissance et d’inexorabilité. En un sens, elle m’a rappelé le LUCAS, un bras automatisé Le robot LUCAS en action sur un mannequin. utilisé par les secours professionnels pour exécuter le massage cardiaque ; le rythme mathématique, la force constante et le côté imparable, inévitable, s’apparente à une certaine forme de violence.
En voyant cette séquence, je ne pouvais empêcher mon cerveau de divaguer. Devant mes yeux défilèrent des images d’une armée de ces robots contrôlant une foule de manifestants de manière autonome — une vision induite en grande partie par les images des grands mouvements sociaux qui inondaient les réseaux quelques semaines auparavant, et des violences policières associées. Une fois autonomes, comment se comporteront ces machines ? À quoi ressembleraient les violences « policières » perpétrées par de tels robots ?
La vidéo dévoile les dernières capacités des créations de Boston Dynamics. La danse rythmée montre l’agilité, la précision et la vitesse ATLAS, le robot dédié à la recherche de Boston Dynamics peut déjà atteindre la vitesse de 1,5 m/s (c’est 5,4 km/h), soit la vitesse d’un homme qui marche. Cela ne peut que très vite évoluer. à laquelle ces machines se déplacent.
Le robot le plus impressionnant, ATLAS, présente une forme humanoïde. On peut les imaginer sans trop de difficulté aux couleurs d’une unité de police, insensibles aux insultes, aux jets de pierre ou au gaz lacrymogène. Ils pourraient être équipés de caméras haute définition, enregistrant en permanence et utilisant des algorithmes de reconnaissance faciale pour identifier les leaders dans la manifestation.
Une vision de cauchemar : c’est cela qui m’a littéralement fait peur.
Il est possible que je me sois laissé emporter par mon imagination. Écrire des fictions a sûrement une certaine influence sur ma façon de voir les choses.
Doit-on avoir peur des robots ?
Pourtant, nous sommes très habitués à la présence des robots. Ils sont apparus dans nos vies il y a plusieurs dizaines d’années, et on peut en voir de partout.
Le terme de robot fut inventé pour les besoins d’une fiction par l’auteur tchèque Karel Capek en 1921. Partons du principe d’exclure tout ce qui a trait aux automates, automa et autres outils automatisés ou utilisés pour distraire les foules. Je mettrais de côté aussi les drones et autres appareils pilotés à distance : il y a toujours un homme au bout des ondes ou du fil.
Dans la conception moderne de ce qu’est un robot, ceux qui marquèrent le grand public apparurent au début des années 1970, sur les lignes de production industrielle. Ils étaient destinés aux travaux pénibles, comme la peinture ou le soudage des carrosseries. Énormes et massifs, ils étaient réservés aux applications industrielles, n’exécutant que des tâches préprogrammées.
La même époque vit le développement, dans les laboratoires japonais de robots humanoïdes, comme ceux que l’on peut voir dans certaines fictions. Tous avaient de sérieuses limitations : ils devaient être reliés d’une manière ou d’une autre à un système plus large, que ce soit pour leur alimentation ou pour les piloter. Leurs capacités sensorielles étaient très limitées, et il fallait un ordinateur externe pour traiter toutes ces informations.
En cela, on était très loin de l’autonomie des robots présentés dans la fiction.
Justement, cette peur inspirée du visionnage des capacités de robots de Boston Dynamics peut-elle m’être inspirée par la fiction ? En d’autres termes, suis-je influencé par mes lectures et les films que j’ai vus en grandissant ? Le robot qui fait peur — ou pire : qui menace l’humanité — est un concept surexploité dans les œuvres de SF. Les Cylons de Battlestar Galactica se retournent contre leurs créateurs, déclenchant une guerre spatiale, et on ne voit pas ce qui va les empêcher de la gagner. D’ailleurs, que dans le remake moderne, les robots on prit une forme totalement humaine, séduisante, même, les rendant plus effrayants encore (comment les distinguer ?).
Les terminators viennent du futur dans le but d’empêcher la survie de l’espèce humaine. Les machines de Matrix nous ont déjà réduits à l’état de piles électriques. Les Réplicants de l’univers Stargate consomment tout ce qui est électrique ou mécanique, et même absorbent quelques hommes dans la foulée, dans l’unique but de se répliquer Le concept a déjà été décrit en dehors de la fiction. Les machines auto-réplicantes sont un type de robot autonome capable de se reproduire tout seul en utilisant les matières premières trouvées dans son environnement, démontrant une auto-réplication similaire à celle trouvée dans la nature. Le concept fut proposé par Homer Jacobson, Edward F. Moore, Freeman Dyson et John Von Neumann.
Source: Wikipedia .
Cette idée du méchant robot, animé par une pensée propre (ou une « intelligence artificielle » dans certains cas) est facile parce qu’elle fait appel à des ressorts bien connus : la toute-puissance mécanique (et c’est aussi le sentiment inspiré par les vidéos de Boston Dynamics) et l’invention qui se retourne contre son créateur (on pense à Frankenstein, c’est aussi une idée très utilisée en fiction, qu’on peut rattacher de loin à l’œdipe de Freud).
Mais la fiction apporte aussi tout un lot de figures robotiques qui sont au service de l’homme, le protègent, ou qui donnent une image sympathique. Le plus iconique étant peut-être R2D2, le petit robot qui assiste en permanence les héros de Star Wars, et surtout Luke Skywalker. Le robot de H2G2 (The Hitchhiker Guide to the Galaxy), nommé Marvin Marvin est un robot doté d’un processeur si puissant, qu’un cerveau biologique, pour déployer une puissance de calcul équivalente, devrait mesurer la taille d’une planète. Tout aurait pu être parfait, mais il est doté du PPA (Profil de personnalité authentique), ce qui le rend capable d’avoir des émotions plus humaines. C’est ce qui lui cause des problèmes : Marvin en est devenu dépressif, paranoïaque et, par conséquent, un peu agaçant pour les autres personnages.
Source: Wikipedia , est un robot désabusé et dépressif, aux répliques aussi cinglantes que drôles.
Arthur : Marvin, as-tu une idée ?
Marvin : Des millions. Elles mènent toutes à une mort certaine.
— Douglas Adams, Le Guide du Routard Galactique
Ou encore :
Ma propension pour le bonheur pourrait rentrer dans une boite d’allumettes sans enlever les allumettes.
— Ibid.
Même dans le cas où ils sont un support à l’humanité, on ne peut s’empêcher de constater leurs capacités qui dépassent le plus souvent celles des hommes. Elles sont physiques — les robots de fiction sont plus massifs, ils avancent plus vite, ils sont mieux armés, ils ne manquent pas leurs tirs (penser à Robocop) — et intellectuelles : leur mémoire est infaillible, ils parlent tous les langages connus (C3PO), ils ont accès à des bases de données sans limites, qui parfois viennent du futur (Terminator).
Dernièrement, le scénario de Zone hostile, un film de science-fiction produit par Netflix, décrit l’utilisation de robots militaires pour la première fois déployés sur un front de guerre, au milieu des troupes d’infanterie.
Dans son article sur le site builtin.com (The future of robots and robotics), l’auteur Mike Thomas résume l’impact de la fiction sur notre conception de la robotique ainsi :
On pourrait argumenter, en fait, que la culture pop en général a ruiné les robots, ou au moins la plupart des concepts que les gens ont à propos de ce que sont réellement les robots. Ce mélange d’influence façonne notre idée de ce qu’est un robot depuis si longtemps qu’on a bien du mal à penser autrement, sinon au prix d’un effort conscient. Justement, c’est du côté de l’inconscient que j’ai réagi en voyant les robots de Boston Dynamics. Mike Thomas, The future of robots and robotics
Ils sont déjà dans nos vies
Nous en croisons tous les jours. Le premier auquel je pense est mon aspirateur Roomba. Aux alentours de dix heures, il va quadriller le salon et les pièces adjacentes, nettoyer et aspirer toutes les miettes du petit-déjeuner et s’occuper de la plupart des poils de chat (espérons-le).
Sur l’autoroute, le régulateur de vitesse va transformer mon véhicule en robot : en fonction des paramètres qu’il mesure, il pourra prendre la décision de maintenir la vitesse dans une côte ou de freiner pour rester à distance de la voiture qui me précède.
Dans l’hôpital où je travaille, un robot occupe une pièce entière (en fait, plusieurs centaines de mètres carrés) ; il gère la distribution et la récupération des tenues de travail.
Si l’on élargit un peu le point de vue, on peut aussi penser aux robots envoyés sur Mars (par la NASA, mais aussi par la Chine), même s’ils sont appelés rovers. Vu le temps de transmission nécessaire à la moindre communication avec la planète rouge, ces appareils doivent être capables de démontrer une certaine autonomie.
En fait, on pourrait considérer tout ordinateur qui a une influence sur le monde physique comme étant une forme de robot : du thermostat intelligent à la voiture autonome, du robot de tri des barres chocolatées dans l’usine Cailler aux robots des lignes d’assemblage de fabrication automobile. La plupart des entrepôts logistiques utilisent aussi des robots pour transporter et aiguiller les colis. Il y en a partout.
Dans le domaine, les progrès sont fulgurants. Ils sont liés à ceux de l’informatique : non seulement sur la puissance de calcul et la mémoire, mais surtout au niveau du développement logiciel, avec des domaines comme l’analyse de données, la reconnaissance de formes et l’IA. La gageure étant maintenant d’embarquer ces capacités de traitement à bord d’unités robotisées mobiles, les rendant, cette fois, autonomes.
Les applications sont infinies. Déjà, on a développé des robots pour la recherche de personnes en environnement risqué (radiation, éboulements) — on aurait pu utiliser un tel robot à Fukushima pour ouvrir une valve de refroidissement et éviter un incident nucléaire majeur.
Des robots procèdent déjà à des interventions chirurgicales (sous contrôle d’un chirurgien, mais pour combien de temps ?), ils transportent des objets lourds, ils réparent les barebones au fond des océans, assurant la continuité des liaisons internet, et je n’aborde même pas le sujet des applications militaires (la Royal Navy a commandité l’essai de sous-marins autonomes ; l’armée anglaise a fait l’acquisition de cinq véhicules autonomes pour le réapprovisionnement).
Pourtant, les robots autonomes ne sont pas encore là.
En termes d’autonomie, on est encore loin des robots de la fiction. Les prochains progrès doivent se faire à deux niveaux : du côté de l’autonomie énergétique, et du côté logiciel (deep learning et machine learning).
L’un des plus gros problèmes que nous ayons est qu’il n’y a rien d’aussi bon que le muscle humain. On arrive pas à approcher de ce qu’un être humain est capable de faire.Will Jackson, directeur de l'Engineered Arts au Royaune-Uni, interviewé par Mike Thomas pour Built in.
Il reste encore beaucoup de progrès à faire. Certains on même pensé que la vidéo de Boston Dynamics était en fait de la CG (c’est faux). D’après leurs chercheurs, la vidéo à nécéssité un an et demi de chorégraphie, simulation, programmation et mises à jour, au sommet desquels le tournage de la vidéo qui a pris deux jours pour produire un film de moins de trois minutes Voir cet article de CBS. et beaucoup de problèmes à surmonter, au premier rang desquels l’autonomie énergétique. En fait, si l’ont suit l’idée de la loi de Moore, le coût par unité d’énergie n’a pas diminué de 50% tous les 18 mois, à l’inverse de ce qui s’est passé pour la puissance des microprocesseurs.
Donc, vraisemblablement, les robots qui m’ont fait peur risquent de voir leurs piles se vider avant de pouvoir faire quoi que ce soit de néfaste.
Mais plus que les possibilités de ces robots (qui dépasseront celles des hommes plus rapidement que je ne le pense), c’est l’IA et l’éthique qui les gouverne qui m’inquiète. Et on ne pourra pas compter sur les trois lois de la robotique, décrites par Isaac Asimov dans sa suite de romans sur les robots Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger
Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la première loi
Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n’entre pas en contradiction avec la première ou la deuxième loi. . Il a de toute façon démontré dans ses histoires qu’elles pouvaient être contournées ou poser des problèmes assez facilement.
Aujourd’hui, aucun robot n’utilise les Trois Lois. À la place, nous avons des experts en IA, éthique et morale pour aider à créer des guides pour la création et l’usage des robots. Certains chercheurs espèrent aussi donner plus de pouvoir aux robots en leur donnant l’abilité à faire tout seuls des jugements éthiques et moraux des conséquences de leurs actes.Dr Peter Bentley, What you need to know about the past, present and future of robotics
Le développement de l’Intelligence Artificielle que ces robots vont utiliser doit donc être fait en lien étroit avec l’éthique, qui doit être une priorité. On ne peut pas uniquement compter sur les intérêts privés, sur les chercheurs et programmateurs (l’erreur est humaine), pour garantir un comportement sûr de ces robots.
Le fait que Google, qui est le plus gros financier de recherches sur l’intelligence artificielle, ait viré récemment ses deux directeurs de l’éthique en IA, est très inquiétant.
C’est de cela qu’il faut avoir peur.
Cet article est un Work In Progress. Dernière actualisation en février 2022.
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