L’un des points de friction de mon écriture reste l’édition, et pour être plus précis, la correction de mon premier jet, et pour être encore plus précis, la première phase de cette correction : je relis mon histoire, avec mon chapeau d’éditeur, et je ne fais attention qu’à la structure, qu’à l’arc narratif, qu’aux personnages.
Parfois, en faisant cette première relecture, j’ai un doute. L’histoire est là, telle que je l’ai imaginée, dans les grandes lignes. Tout ce que je voulais raconter est présent, et pourtant, il manque quelque chose. Difficile à saisir, impossible de mettre le doigt dessus en criant Eureka !
Au contraire : tout semble là, et pourtant, cela ne fonctionne pas.
Pourtant, on pourrait me classer dans la catégorie des outliners, ceux qui n’arrivent pas à écrire sans avoir un plan, et dans mon cas, un plan plutôt bien détaillé. C’est ce qui m’aide à avancer, sans que cela ne m’enferme puisque je peux très bien en dévier à tout moment pour suivre l’évolution d’un personnage de mon histoire.
Alors, parfois, malgré ce plan minutieux, où je crois avoir pensé à tout, il manque quelque chose, un petit quelque chose que je n’arrive pas à identifier. L’histoire ne fonctionne pas.
Entre en scène la méthode foolscap
Le foolscap, c’est un format de papier US, ce papier jaune ligné, un peu plus allongé et plus fin qu’une feuille A4. Je suis sûr que vous en avez vu dans les films ou séries américaines.
Et d’après Steven Pressfield, auteur américain qui fut l’un des premiers à parler de cette méthode, c’est la longueur idéale de papier pour coucher le plan d’un roman. Pas besoin de plus.
Comment ça marche ?
Il s’agit de reprendre son histoire, depuis une altitude très élevée.
Le premier tiers de la feuille est votre premier acte. Le second, le deuxième acte et le troisième, le dernier acte. On ne peut utiliser que l’espace autorisé par la feuille.
Il faut écrire de la manière la plus simple possible le « Et si? » au début du Premier Acte. Par exemple, pour un policier, ce serait la découverte d’un corps.
Ensuite, à la toute fin de la feuille, il faut écrire le climax du roman (ou de l’histoire, cela peut s’appliquer à n’importe quel format).
Quand vous avez le point de départ et le climax de votre histoire, vous n’avez plus qu’à remplir le reste.
Simple. Simpliste ?
Vu comme cela, c’est un peu simple. Et cela ne m’aide pas à vraiment trouver le problème dans mon histoire. Tout juste à commencer la planification.
Mais de là, Shawn Coyne, un éditeur américain ayant roulé sa bosse chez les big five pendant plus de vingt ans, élabore une méthode qui permet de détecter ce petit truc qui ne fonctionne pas dans mon histoire, justement. N’est-ce pas génial ?
Il a amélioré la grille pour en faire cette fameuse méthode, en extrapolant ce dont une histoire a besoin pour fonctionner à savoir l’unité de base, la brique élémentaire, utilisable à tous les niveaux un peu à l’idée des fractales.
Cette brique est composée de 5 éléments :
- Inciting Incident – incident de départ (traduction très aproximative, j’en conviens). C’est l’événement qui va changer le cours de la vie de votre personnage principal ; il y a un avant et un après.
- Complication – progressive, les choses se compliquent pour le protagoniste
- Crisis – la crise. On peut résumer cela au « meilleur mauvais choix possible »
- Climax – le climax ou la réalisation de ce choix
- Résolution – le fruit / les conséquences
Et l’on retrouve cette brique élémentaire de partout: au niveau d’une scène, d’un chapitre, d’un acte (et c’est là qu’on rejoint la foolscap.)
Trouver ce qui ne va pas
Remplir la foolscap est assez facile. La feuille contient une première partie permettant de bien définir votre histoire en définissant le genre et les valeurs en jeu, aussi bien au niveau externe (l’action) qu’interne (le développement de votre personnage principal).
En fonction du genre choisi, il y a aussi des scènes obligatoires, scènes qu’on va trouver dans toutes les (bonnes) histoires du genre, et donc des scènes attendues par le lecteur. Le point de vue général y est défini (3ème personne par exemple), l’objet de désir du personnage, et enfin l’idée générale / le thème de l’histoire.
Voilà pour l’histoire globale. Définir clairement ces points peut paraître futile, mais de là découlent bien des choix de l’histoire à raconter. Ainsi, on peut se rendre compte qu’on a oublié une scène obligatoire du genre, ou que l’évolution de notre personnage n’est pas claire. Le petit truc qui manque, ce peut être cela.
La suite de la grille se décompose sur les trois actes, que Shawn appelle hook (l’accroche), build (la construction), et payoff (la récompense du héros ou du lecteur). Chaque acte est composé des briques élémentaires décrites, et doit faire avancer votre narration soit vers le positif, soit vers le négatif.
Utiliser la grille pour décrypter votre texte permet une lecture à haute altitude, et permet de jauger de l’équilibre global de votre arc narratif, que ce soit en termes d’action ou de progression du personnage. C’est souvent ce qui permet de mettre le doigt sur le petit truc qui manque à votre histoire.
Pour comprendre avec un exemple, Shawn Coyne décrypte pour nous le Silence des agneaux de Thomas Harris. Vous pouvez trouver la fiche remplie ici, c’est assez instructif :

Ainsi, il devient plus facile, avec cette vue aérienne de l’histoire, de détecter ce qui ne va pas, ce qu’il faudra équilibrer, déplacer…
Aller plus loin
- Pour ceux que l’anglais ne rebutent pas, il y a maintenant un podcast, créé par Tim Grahl, autour de la méthode foolscap story grid. Très instructif, avec des exemples et des explications autour du concept.
- Le site de Shawn Coyne, rempli de détails et d’exemples, toujours en anglais
- Le livre The Story Grid du même auteur.
Si vous ne pouvez pas vous y coller en anglais, il va falloir attendre un peu que je trie mes idées et avance un peu sur les quelques articles qui vont suivre, et qui vont servir de prise de note lors de mon cheminement avec cette méthode.